CONTEMPORA
: i j^ii HEDEN
6-
EUGÈNE LAERMANS
PAR
GUSTAVE VANZYPE
EUGÈNE LAERMANS
Exemplaire numéroté pour
Monsieur M. HUFFMANN
Genummerd exemplaar voor
den Heer M. HUFFMANN
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in 2013
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EUGENE LAERMANS
d'après un rORTRAIT PEINT PAR LUI-MKMI'.
EUGÈNE LAERMANS
PAR
G. VANZYPE
COLLECTION
DES ARTISTES BELGES
CONTEMPORAINS
BRUXELLES
LIBRAIRIE NATIONALE D'ART ET D'HISTOIRE
G. VAN OEST & C
1908
A & M'"^ JOSEPH LAEREMANS
I.
Faut-il, pour faire œuvre d'art personnelle, originale et
neuve, œuvre d'art portant la marque d'une individualité et
celle d'un temps, faut-il, pour accomplir cette œuvre, tout
renouveler et, systématiquement, s'éloigner de toute tradition,
se garder de tout moyen d'expression rappelant les indivi-
dualités et les temps dont on continue la tâche ?
Toutes les grandes querelles esthétiques de notre époque
sont dans ce problème; elles s'agitent entre l'abandon complet
du langage du passé et l'adaptation de ce langage à la vision,
à la pensée, à la sensibilité d'à présent.
Il est, à notre époque, trois grandes catégories de pein-
tres : la plus nombreuse et la moins intéressante est formée
par ceux qui n'apportent rien de neuf, ni dans la facture, ni
dans la pensée. Il en est une qui cherche une facture nou-
velle. Il en est une autre qui veut exprimer des émotions
de nuance inédite dans une langue depuis longtemps parlée,
renouvelée seulement par la variété infinie que peut donner
la combinaison de ses éléments.
Parmi les artistes de cette dernière catégorie, il en est
encore de deux sortes : les uns expriment en une forme raf-
finée de l'émotion rare, accessible seulement à quelques-uns.
I
de l'émotion intellectuellement aristocratique, qu'ils veulent
fermée à tout ce qui n'a pas subi la culture de l'élite avertie ;
les autres tentent de toucher de leur émoi, par de la beauté
plastique forte et familière, la sensibilité des foules d'aujour-
d'hui et de demain ou tout au moins de tous ceux qui, au
sein de ces foules, ont des curiosités éveillées.
Ces derniers, en dépit de leur fidélité à certaines formes
du passé, sont le mieux de leur temps. Ce temps, en effet, n'est
point aristocratique. Toute la pensée dont il frémit formi-
dablement, est obstinément, douloureusement tendue par la
volonté de donner à tous le plus possible de tous les fruits
de la terre de toutes les joies humaines, de tout le réalisable
bonheur. L'art le plus conforme à l'esprit, aux aspirations,
à l'idéal de la société contemporaine, et par conséquent celui
qui reflète le plus fidèlement cet âge de l'humanité, s'inspire
du même désir éperdu de large communion. Sans doute, l'Art
ne peut jamais, sans déchoir en des concessions destructives
de sa grandeur, mettre toutes ses intentions à la portée de
tout le monde; mais il peut dédier à tous ses préoccupations;
et ses exaltations peuvent s'exprimer en un langage simple,
en le langage le plus généralement connu. Le discours le plus
puissant est celui dont la sonorité le plus loin se prolonge.
Et l'œuvre qui, en même temps, fait rêver le mandarin et
trouble, même confusément, l'homme inculte, est supérieure
à celle qui atteint seulement le premier, est en tous cas plus
près des volontés ardentes du temps présent, de son espoir
généreux, de sa religion naissante.
Notre époque a donné à l'Art une large place. Elle recon-
naît que la collectivité lui doit de la sollicitude. 11 accepte
2
Dessin vdi-r lvs Plî-urs nu Mal
cette sollicitude et revendique le respect. C'est reconnaître
qu'il n'est point seulement une source de jouissances égoïstes
pour quelques-uns, que son rôle n'est pas seulement d'appor-
ter un peu de volupté à une élite restreinte en des œuvres
énigmatiques volontairement fermées au plus grand nombre.
Sans doute, c'est toujours une élite que l'Art atteint. Son
émotion, sa pensée ne sont jamais accessibles à tous. Mais
doit-il systématiquement limiter le nombre de ceux qu'il
fera frémir, en exprimant ces émotions et cette pensée en un
langage compliqué et renouvelé constamment ? En ce faisant,
traduira-t-il les volontés et les préoccupations de notre temps?
II ne l'a pas fait à des âges de l'humanité où toute la conscience
de celle-ci semblait enfermée en quelques hommes, où une
aristocratie entretenait le rêve orgueilleux d'être seule agis-
sante. Il le ferait en un temps où tous les efforts tendent
à la diffusion des connaissances humaines, à la participation
de tous au savoir et à l'action ! A cette heure-là, il s'attar-
derait à exprimer des choses éprouvées et comprises seule-
ment par quelques privilégiés admis à une initiation particu-
lière !
Le rôle de l'Art au xx« siècle n'est point là. L'Art
s'adresse à tout le monde. Evidemment, tout le monde ne
pénétrera pas toutes ses significations subtiles ou profondes.
Mais il aura fait ce qu'il pourra en se servant d'une langue
depuis longtemps connue par tous et dont les termes sont à
tous familiers. M. Bergeret se sert des mêmes mots que les
héros de Molière. Et personne ne songera à reprocher à
M. Bergeret de n'avoir pas des idées très personnelles et très
neuves. La personnalité est dans ce qu'on exprime par les
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mots, dans les nuances fournies par leurs combinaisons, et
non dans ces mots eux-mêmes. Chez le peintre, la personna-
lité n'est point dans la facture, dans l'incessant renouvellement
de celle-ci, mais dans les nuances de sensibilité que par elle
on traduit. Comme le discours le plus éloquent est celui qui
dit le plus de pensée à l'aide des vocables les plus usuels et
par conséquent les plus clairs, la peinture la plus expressive
est celle qui fait surgir de la beauté neuve et élevée de la
matière et des formes les plus familières. Cet art-là servira
le plus puissamment la beauté puisqu'il élargira le cercle
des hommes à elle accessibles. Et il sera le plus moderne, le
plus adéquat au vouloir de notre temps, puisqu'il contribuera
à multiplier les hommes frémissant d'un même émoi.
Malgré les entraînements d'une intelligence hardie, cul-
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tivée, très attirée par le nouveau, Eugène Laermans est
demeuré fidèle à cette conception de l'art ; il y est resté atta-
ché tout naturellement, sans effort, sans lutte, sans raison-
nement, je crois, parce qu'il lui a paru toujours, sans qu'il
fallût pour cela un débat, qu'il en devait être ainsi. Un
désastre a tenu l'artiste strictement enfermé dans son milieu
originel : à onze ans, à la suite d'une fièvre typhoïde, il est
devenu complètement sourd. Une longue conversation avec
lui est impossible pour d'autres que ses proches et ses amis
très intimes, et reste difficile même pour ceux-là. Tout jeune,
l'artiste a donc échappé complètement à toutes les influences
intellectuelles autres que celles des livres. Il n'a pas connu les
camaraderies d'artistes, les longues, les fougueuses disserta-
tions des cénacles où la jeunesse s'exalte dans l'orgueil de
penser librement et où les convictions se basent sur les
paradoxes adoptés pour le pittoresque imprévu de leur forme
et l'audace de leur nouveauté, où, insensiblement, les esprits
s'aristocratisent dans la fierté de se sentir supérieurs.
Il a échappé à cela. Même lorsqu'il était à l'Académie
de Bruxelles, dans la classe de Portaels, au milieu de ses
condisciples il était seul. Il ne subissait point la présence des
déclamations exaltantes, des rêves de gloire dédaigneuse ; il
n'entendait point les discours enflammés et méprisants à la
foule incompréhensive et les dissertations subtiles sur le raffi-
nement. Il était seul dans le silence, vivait seulement par
les yeux, par ce regard ardent où couvaient une passion
farouche et une raillerie énigmatique. Et quand ses camarades
s'en allaient par groupes bruyants, lui partait seul vers le
faubourg, vers la maison paternelle. 11 allait travailler encore.
5
et lire, lire avidement. Mais toujours il était seul, tout seul
avec l'auteur qu'il lisait. Entre eux ne s'interposait nul com-
mentaire étranger; ce qu'il lisait, il l'appréciait sans que nulle
suggestion influençât son jugement. Du livre, il ne parlait avec
personne ; sa sensibilité devant lui demeurait intacte, libre
des ivresses de discussion où les enthousiasmes s'exagèrent,
où les impressions se transforment.
Devant Baudelaire ou devant Taine, devant Verlaine ou
Ruskin, Eugène Laermans fut toujours, sans autres influences,
le fils des modestes et laborieux bourgeois flamands du fau-
bourg de Molenbeek-Saint-Jean, ce fils différent des parents
seulement par la volonté éperdue d'être un artiste, mais ayant
gardé, intacts, leur bon sens calme, leur conscience claire,
leur crâne et tenace et simple acceptation des liens sociaux.
A quarante ans, il vit encore dans la paisible maison de
la chaussée de Gand où il est né, entre les deux êtres qui
veillèrent sur son enfance : son père Jean-Joseph Laeremans,
— l'artiste a fait de ce nom Laermans, — né à Bruxelles le
18 novembre 1828; sa mère, Catherine Wets, née à Berchem-
Sainte-Agathe, le 25 décembre delà même année. Ceux-ci ont
pu vieillir : ils n'ont pas changé moralement, pas plus que ne
s'est modifié l'aspect patriarcal de la maison où le fils n'a
point tenté d'introduire de nouvelles habitudes.
Le père et la mère sont de cette forte race brabançonne
en laquelle a toujours régné le bon sens calme et qui, dans les
épreuves et les résistances communes, souffertes et livrées
vaillamment à travers les siècles, a puisé et maintenu une
conception obscure mais vigoureuse de la solidarité, du lien
nécessaire.
6
Pan (eau-forte)
Il y a, au fond de cette race, entretenue par le souvenir
de longues luttes, une aversion railleuse pour ce qui tend à se
mettre au-dessus du rôle, des obligations, du devoir de tous,
pour tout ce qui rappelle les prétentions du patriciat. Si cette
bourgeoisie qui descend des artisans des corporations de jadis
ou des paysans qui résistèrent au seigneur, est accessible à
l'ambition, cette ambition cherche à se satisfaire surtout par
les dignités que la collectivité confère et qui rappellent les
anciens postes de combat confiés par une démocratie inquiète
aux plus courageux et aux plus vigilants. Dans ce monde-là,
l'orgueil de l'effort est très vivant, la fierté d'être élu est très
convoitée, mais il n'y a point de privilège d'origine ; et tous
les souvenirs héroïques sont des souvenirs d'âpre bataille
contre ceux qui voulurent imposer, au nom d'un tel privi-
lège, leur autorité.
Cet esprit est encore très tenace dans cette partie surtout
du pays de Bruxelles que ne peuplent point les fonctionnaires
et les rentiers. Des incidents politiques relativement récents
l'ont manifesté. Il y a quatorze ans seulement que la garde
civique de Molenbeek, composée pourtant de bourgeois con-
servateurs, refusa son concours au pouvoir central pour la
répression d'un mouvement populaire. Ce qui la guidait,
c'était évidemment l'esprit survivant de la solidarité avec la
foule.
Dans un tel milieu, dans un tel monde, le sentiment
aristocratique n'existe point, ou ne peut atteindre que les
intelligences très médiocres. Et généralement le bourgeois de
ce milieu que la vanité prend, émigré, s'éloigne du quartier,
du faubourg où le peuple est trop près de lui.
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Les parents de Laermans sont demeurés là, attachés à ce
coin où l'activité urbaine est proche encore des campagnes
qui lui apportèrent ses forces, de ces belles et rudes campagnes
brabançonnes dont les paysans ont insensiblement peuplé le
faubourg. Ce faubourg, pauvre et besogneux, ils l'aiment,
ils l'aiment, peut-être inconsciemment, pour l'atmosphère
de labeur qui toujours y règne, pour le
voisinage de simplicité dans lequel on y
vit. Le luxe, ses raffinements dont la
poursuite, dès qu'on l'entame, ne sera
jamais satisfaite, ne laissera plus une heure
de sérénité, y sont ignorés. Ce que veulent
conquérir les efforts, c'est l'abondance et
la sécurité. L'homme riche est celui qui,
le soir, la tâche accomplie, retrouve, dans
la maison chaude, où les armoires sont
pleines de linge et de confitures, le fau-
teuil, au coin du feu, et sur la table, à
côté du verre de vin ou de la bouteille de
bière, le journal qui s'inquiète de la chose
publique. La famille parle français quel-
quefois, flamand souvent ; on ne dédaigne
point de causer avec la servante que la maîtresse de la maison
aide à la cuisine, aux choses domestiques ; et l'on s'intéresse
aux événements advenus chez les voisins, même chez les
humbles.
De ce milieu, riche en intelligences et en énergies, beau-
coup d'individualités supérieures sont issues. Dans tous les
domaines de l'activité intellectuelle belge, les hommes dont
Croquis
8
l'origine est là sont innombrables. Mais rares sont ceux qui ne
changèrent pas de vie, d'atmosphère, continuèrent à subir
celle-ci, gardèrent intacts la santé morale et l'équilibre des
instincts qui font ce monde admirable. Par la force des
choses, par l'entraînement inévitable des relations et des
goûts, presque tous, dès leurs débuts, se transplantent, sont
absorbés par un monde nouveau où dominent les qualités
exceptionnelles, une conception de la vie basée exclusivement
sur la littérature et lart, dans un monde pour lequel, insen-
siblement, tout ce qui n'est pas lui-même devient secondaire,
accessoire, et qui, trop souvent, parle un langage par lui seul
compris. Dans ce monde éclosent et se développent la sub-
tilité, la séduction des sensations rares, formulées avant
même d'être complètement éprouvées ; on y cultive un art
qui devient aristocratique sans bien s'en apercevoir, aristo-
cratique dans le sens du dédain de l'effort et du détachement
de la foule, un art qui prétend n'être uni par nul lien aux
autres activités des hommes et revendique même parfois le
droit d'entraver ces activités.
Laermans, lui, n'a rien abandonné de son milieu originel.
Sa forte intellectualité chaque jour puise la santé dans la
fraîcheur morale, dans les réalités paisibles, dans la transpa-
rente vie patriarcale, aux modestes et vigoureuses joies, aux
clairs devoirs.
9
II.
La vie de Laermaas s'écoule tout entière dans le labeur.
Chaque matin, l'artiste quitte, vers huit heures, la maison
de la chaussée de Gand. C'est l'heure où son père, dont les
quatre-vingts ans n'ont point eu raison de l'activité régulière,
s'en va vers la ville. C'est l'heure où la vieille route est animée
du lourd et bruyant cortège des campagnards revenant du
marché, regagnant Berchem, Assche ou Grand- Bigard ;
des odeurs maraîchères montent des chariots qui passent ;
à côté des véhicules cheminent des paysans ; sur les char-
rettes, installées au milieu des bottes de verdure, des femmes
sont assises.
S'il pleut, ce qui passe c'est la corvée, la vie pesante exi-
geant de chaque heure le rude travail ; si le soleil enveloppe
la chaussée, c'est l'évocation de la vie rurale dans ses senteurs
fortes et sa fécondité. Mais qu'ainsi s'exprime de la tristesse
ou de la joie, il y a toujours fête de couleur : le sarrau bleu
ou le vêtement de velours gris de l'homme, le fichu rouge,
noir ou blanc encadrant la chair des femmes, offrent au
peintre la première extase.
Par la chaussée de Merchtem ou par un dédale d'autres
rues pauvres, il marche, en s'arrêtant souvent. La halte se
lO
L'Enfant maladk (Vernis mou)
fait tantôt devant un couloir dont le trou d'ombre a pour fond
une cour où, sous un pan de soleil, sèchent des hardes aux
tons éclatants amortis par l'usure ; tantôt au détour d'une
ruelle où la lumière lèche un coin de muraille lépreuse dont
le crépi blanc est tavelé de vert ; devant une porte ouverte
sur un escalier que les pas ont usé et qui semble avoir
conduit tant d'hommes vers le mystère de son obscurité ; tan-
tôt c'est brusquement devant un groupe qui passe et dont les
hommes quelquefois s'arrêtent eux aussi, intrigués, un peu
irrités sous le regard étrange qui les contemple. Ce regard
ardent et avide devant les choses devient, devant les hommes,
inquiétant, énigmatique. Que pense donc ce passant à la
curiosité si tenace ? Qu'est-il ? Il a l'aspect d'un bourgeois,
d'un de ces bourgeois de la démocratie dont le vêtement sans
coquetterie, portant le ruban rouge, dit à la fois la simplicité
et l'importance. La carrure trapue, les bras solides, le rythme
pesant du corps sont d'un travailleur fruste. Mais sous la
chevelure abondante aux mèches longues en broussailles où
la lumière joue comme sur de la sculpture, et qui se prolonge
en une barbe un peu sauvage, les yeux bruns, chauds, brillent
d'un éclat bizarre, éclairant à la fois du sourire et de la tris-
tesse, de la raillerie et de la pitié. Pourquoi? Les hommes
qu'ils voient ne sont ni si lamentables, ni si ridicules.
Seulement ces hommes, Laermans ne les voit pas dans
les mêmes conditions que nous. Il n'entend pas ; il n'entend
rien. Les bruits de la rue, les voix de ces hommes, qui parlent,
qui chantent quelquefois, qui rythment les mouvements, qui
les expliquent, tout le bourdonnement de la cité, qui pousse
les foules, les emporte, rend naturelles leur hâte ou leur non-
II
chalance, tout cela n'existe pas. Il ne voit que les formes
et les gestes. Il est, devant eux, comme le passant isolé qui
de loin voit tournoyer les couples dans un bal, sans que la
musique arrive jusqu'à lui. Et les mouvements lui paraissent
disgracieux, outrés et sans cause, les formes sont appuyées
jusqu'à l'absurde, s'accentuent d'autant plus que la nature a
QpoQuis POUR « LA Lutte »
reporté sur un sens toute la sensibilité dont un autre sens fut
à jamais privé. Ainsi la pitié et la raillerie de son regard
s'expliquent. Elles vont s'éteindre d'ailleurs devant cette
femme immobile au seuil de cette demeure misérable ; nul
geste inexpliqué ne déforme son aspect, et les yeux du peintre
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goûtent la joie de deviner un corps ample et souple sous
une guenille très vieille et très sale, mais dont le bleu déteint
a pris une splendide amertume.
Et voici que le regard de nouveau s'enflamme d'une
extase. L'artiste a fourni la première étape de la route chaque
jour parcourue : il a atteint le large boulevard qui, de la ville,
grimpe, en traversant le canal et le quartier des usines, vers le
plateau de Koekelberg, qui conduit le pavé de la cité jusqu'à
la campagne sans cesse reculée, sans cesse envahie, sans
cesse appauvrie. Sous les arbres de l'allée la lumière a des
caprices que le peintre guette ; elle noie doucement, furtive-
ment les choses ; et là-bas, sur le plateau, elle s'épanouit
glorieusement sur la majesté de la nature. Elle harmonise
ici les aspects les plus disparates : les rues bourgeoises,
tristes, uniformes, grises, incolores, dernière conquête de la
ville, et les restes de l'ancien décor rural, les maisons aux
murs verdâtres, blêmes, sous les grands toits de tuiles rouges
dont le temps a amorti l'éclat.
Laermans est ici chez lui, dans cette banlieue, à l'aspect
complexe où toutes les tristesses sont voisines de toutes les
splendeurs, où les hommes ne sont plus des paysans et ne sont
pas des citadins, où la campagne et la cité sont en lutte, où la
vie rurale et la vie urbaine mutuellement se déséquilibrent,
où les pierres envahissent la terre et la stérilisent, où les êtres
souffrent de la défaite de la nature qui recule et dont la
beauté sereine se dresse, à l'horizon, mélancolique, subsiste
encore, par endroit, tenace, crispée, en un bouquet d'arbres,
en un champ, en un reste branlant de chaumière, en un mor-
ceau de jardin dont la clarté vibre au fond d'un couloir de
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maison pauvre, de vieille ferme transformée en atelier.
Voici la chaussée de Jette, l'antique chaussée ; des portes
cintrées, de-ci de-là, entre les maisons neuves, rappellent le
coin de village bouleversé par les empiétements de la ville ;
au seuil des cabarets, des hommes, des femmes, des enfants
baguenaudent, pauvres êtres en les formes et les gestes des-
quels se manifeste le même déséquilibre, le même caractère
incertain, le même trouble d'évolution, d'adaptation imparfaite
à une vie nouvelle. Ce ne sont ni des ouvriers des villes, ni
des paysans ; ils n'ont ni la puissance calme et lourde de
ceux-ci, ni la démarche décidée et le regard éveillé de ceux-là ;
le geste hésite entre la charrue et l'outil, le vêtement entre le
sarrau et le veston ; la brusque transplantation du grand air
libre à la rue de faubourg, le brutal arrachement à la terre,
la sujétion au travail de l'atelier et de l'usine, ont rompu le
rythme des formes et des mouvements; et ce qui reste, en eux
et dans le décor qu'ils peuplent, de l'existence d'hier : — ces
coins de verdure, et les couleurs vives de vêtements faits pour
la grande lumière, — prend une éloquence grave et nostal-
gique, de regret, de fidélité à un passé encore proche, à un
bonheur qui fuit, là-bas, dans les champs et les bois de
Ganshoren, de Jette et de Berchem.
Derrière une grille dressée sur un mur bas, dans un
fouillis de verdure, il semble qu'un peu de ce passé et de
ce bonheur subsiste. C'est là que l'artiste s'arrête. Une large
porte de bois, à claire-voie, tourne sur des gonds rouillés. De
vieux arbres tordus, des massifs de jasmin, forment une allée
montante, pleine d'ombre humide sur le pavé moussu. Nous
sommes chez le peintre. Cette bicoque étrange, abandonnée,
14
presque en ruines, à l'étage de laquelle conduit un escalier de
bois abrité par un toit vitré poussiéreux, c'est l'ancien atelier,
aujourd'hui désert, adossé à de petites maisons ouvrières, très
anciennes ; et ce grand bâtiment de briques rouges, qui a
l'aspect d'un hangar, derrière les petites cours des maisons
ouvrières où sèchent les lessives au milieu des géraniums et
des capucines, c'est l'atelier d'aujourd'hui. On n'en voit que
le haut pignon au milieu d'un fouillis de verdure.
Laermans a sauvé de l'envahissement urbain ce coin
de campagne, propriété de ses parents. Il a voulu que le
grand jardin demeurât très rustique, ou plutôt il l'a laissé
tel parce que jamais il n'eût songé à en faire un jardin élégant
et correct, parce que la beauté, la santé, sont à ses yeux dans
la nature telle qu'elle s'offre à la volupté des hommes. Il n'y
a point là de pelouses régulières et de parterres savamment
dessinés. Comme le grand atelier est un simple abri de
briques sans architecture, le jardin est fait de bonne végé-
tation généreuse et presque libre, de végétation dont la
beauté n'est pas seulement de l'ornement impassible, mais
aussi de la saveur nourrissante. Il n'y a pas que des fleurs, il
y a aussi des fruits dans l'enclos : il y a tout ce que la terre
donne quand on ne la contrarie pas de parti-pris, quand on
ne dédaigne pas ses présents. Il y a du jasmin, il y a de la
glycine, il y a des roses, il y a des clématites et des pavots, et
il y a des petits pois ; il y a des peupliers altiers et des chênes
majestueux, et il y a des noyers et des pommiers; et parfois,
dans le soleil, du tumulte des leuilles et des fleurs, surgit le
buste d'une fille, en chemisette blanche et les bras nus : la
servante qui fait la cueillette ou coupe les arbres fruitiers,
i5
parce qu'il faut aider la terre. Mais je crois qu'on ne donne
guère d'autres soins au jardin. Tout y pousse librement; les
branches s'échappent des buissons, envahissent les chemins;
on n'en protège que les parterres réservés aux légumes et que
cachent des ceintures de verdure épaisse. Pour se promener
dans les allées, il faut se frayer un passage, lutter avec les
arbustes. On sent que le maître de l'enclos a le respect fervent
de tout ce qui s'épanouit là, qu'il souf-
frirait de diminuer de si peu que ce fût
la fécondité de ce coin de campagne pré-
servé de la conquête.
Tout ce qui est élégance apprêtée et
correcte est banni. Au bout de l'allée
de l'entrée il y a un hangar délabré sous
lequel sont entassés des fagots de bois
mort et de vieilles caisses; et les murs
n'ont plus été crépis depuis des années.
Ils sont admirables, ces murs dont la
brique a pris des tons prodigieusement
variés et splendidement salis; sous la ver-
dure qui les brode, le vermillon ardent
Croquis de la brique saignante, le pourpre éteint
et lépreux des blessures anciennes, les
laques profondes où les étés ont laissé des flammes, les rouges
moisis, rongés, noircis où transparaît sous les gris l'or in-
cendiaire des soleils couchants, offrent le plus merveilleux
exemple de la pauvreté somptueuse : de la brique et des
feuilles sous les caresses de la lumière et du temps font plus
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d'émouvante splendeur que les décors les plus luxueux, les
plus raffinés, les plus laborieusement composés.
Parfois, Laermans, lorsque, au cours de la route,
quelque silhouette l'a particulièrement frappé, entre directe-
ment dans l'atelier, et rapidement, en quelques traits, esquisse
une figure, un document, fixe une pose, un mouvement,
complète le souvenir par des indications de couleur : une
note : « rouge, noir, bleu sur chaque partie du vêtement.
Plus souvent, il fait le tour du jardin, compte les roses
ouvertes, suppute la récolte des fruits, ou secoue l'arbre d'où
tombent les prunes ou les pommes mûres dont il fera un tas
dans l'atelier; dans cette allée qui longe le mur mitoyen, il
demeure, le regard ébloui devant la symphonie des rouges
et des verts ; il suit passionnément les métamorphoses que la
lumière mouvante imprime à cette rude beauté, et, avant de
franchir la porte de l'atelier, embrasse d'un coup d'œil les
fleurs, les fruits, les arbres et le ciel, le vivant ciel du Brabant
dont les nuages font perpétuellement frissonner la terre et les
choses dans les alternatives de lumière et d'ombre. Il a pu,
la veille, lire les dissertations, les spéculations humaines; il a
maintenant la pensée et la vision claires, retrempées au
spectacle des beautés certaines, évidentes; il pourra, tout à
l'heure, entre deux poussées de travail, lire encore quelques
pages, — il y a toujours, dans l'atelier, des livres, — il gar-
dera dans les yeux la fraîcheur grave du jardin sauvage qu'il
peut contempler toujours par la porte ouverte ou par une
échancrure du rideau de la grande verrière.
De ce jardin, seule la verrière sépare l'atelier auquel
donne accès une étroite porte de bois sommairement peinte
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en gris. Pas d'antichambre; l'antichambre c'est le jardin.
Il n'y a pas de transition, il n'y a nulle préparation à l'impres-
sion. Au surplus, cet atelier n'est point fait pour les visites
qui sont très rares, possibles seulement aux intimes; l'intrus
pourrait sonner, appeler, personne ne répondrait, puisque
l'artiste n'entend pas et qu'il n'y a que rarement une servante
ou un jardinier. Pour toute la journée, le peintre est seul,
seul avec ses arbres et avec ses œuvres. Il n'est pas misan-
thrope, et lorsque, exceptionnellement, vient un ami, il est
reçu avec une cordialité qui accentue jusqu'à la meurtrissure
la franche poignée de main, avec une loquacité rieuse qui
ne se rebute point de la difficulté du langage, n'a que de
temps à autre un mouvement d'irritation devant l'obstacle
de la surdité.
Mais généralement la journée s'écoule dans la complète
solitude.
i8
>
Ci
o
w
Q
S
III.
Sous la voûte du toit, de hauts murs tapissés d'un mince
papier bistre clair qui disparaît presque complètement sous
les toiles et les études sans cadres. Cinq ou six chevalets
se bousculent. Et puis un tumulte d'objets disparates, dans
le désordre le plus complet.
L'atelier est comme le jardin : on dirait que les choses
ont poussé librement, au gré de leur caprice. Nulle ordon-
nance, nul arrangement, nul souci de ménager un décor aux
expressions voulues. Dans la vaste salle où l'on travaille, on a
apporté ce que l'on aime et ce dont on a besoin pour le
labeur. Et cela s'est placé au hasard des arrivées.
Sur une table étroite un amoncellement de livres —
c'est tantôt Rabelais, tantôt Heredia, tantôt Paul Adam —
de journaux frais ou vieux, blancs ou jaunis et dont le tas
dégringole sur le plancher, de bouts de papier, de lettres, de
pages d'album couvertes de croquis, de pipes, de caisses de
cigares, de boîtes d'allumettes ; des journaux encore sur le
fauteuil Voltaire usé, et des lambeaux d'étoffe sur les chaises.
Sur ce vieux meuble de chêne très patiné, une cuirasse garnie
d'épaulettes rouges, un parasol chinois, des épées, des feuilles
mortes, des plumes de paon. Sur la haute cheminée dont les
19
montants en ciment sont décorés de dessins au charbon
faisant un corps à des masques japonais, un plat de dinan-
derie, une assiette de Delft, des bouilloires de cuivre, une
tête de mort, un bouquet d'immortelles, des poteries de
Croquis
Bruges, une lampe de mineur, une vieille terre cuite ; et,
accrochés sous le manteau, un sabre, une faux, une pipe alle-
mande, un large râteau. Des poteries bleues encore sur un
bahut de chêne, de l'autre côté de la cheminée. Et puis,
de-ci de-là, des bouteilles vides de lambic ou de vernis, des
20
vases d'où émergent des pinceaux, des outils de menuiserie :
une scie, des tenailles, un marteau ; ici un sécateur, là des
cadres vides, plus loin des châssis et des toiles blanches,
d'autres toiles couvertes d'ébauches ; à côté un tas de fruits
cueillis la veille au jardin. La bousculade la plus hétérogène
d'instruments d'art et d'instruments de vie voisinant, se mêlant,
disant dans leur amoncellement le rude et sain équilibre des
préoccupations, et toute l'existence de celui qui, au milieu de
tout cela, travaille.
II travaille, longuement, patiemment, chaque jour,
passionné pour son art ; il ne dédaigne rien de ce qui est le
reste de la vie, mais il n'use point son effort à des raffinements,
à des compositions d'effets pour le décor qui l'entoure. Pour
exprimer sa personnalité, il compte sur ses œuvres ; cela lui
suffit. Et pour goûter des voluptés profondes, il a le jardin,
les grands arbres, les fleurs, les fruits, le frais parfum qui
monte des buissons; et il a, il a surtout la merveilleuse faculté
de distinguer en toutes choses la part de beauté que chacune,
même la plus humble, contient. Dans le fouillis disparate
encombrant l'atelier, il découvrira de discrètes splendeurs de
couleur. L'harmonie du bleu de ce Delft avec le vert et le
rouge de cette pomme, avec l'or bruni de ce vieux meuble de
chêne, la chanson de couleurs effacées de ce lambeau de shall
des Indes, et cette concentration de lumière sur la matière
granulée de ce grès, feront surgir dans son imagination toutes
les opulences et les frissons d'avidité qui traversent même les
drames. Les vigueurs qui s'éveilleront en lui se dépenseront
dans quelque rude travail pour lequel il maniera avec adresse
et avec force ces tenailles et cette scie. En croquant une
21
pomme verte il entreverra les fécondités somptueuses et fan-
tastiques du jardin des Hespérides. Et les bras nus de la
servante, au milieu de la verdure entourant les plates-bandes
aux légumes, évoqueront d'autres forces et d'autres beautés
encore.
C'est qu'il est peintre, peintre intensément. Et tout lui
parle par la matière et par la couleur ; les imperceptibles
nuances de celles-ci forment pour lui le plus complet, le plus
subtil et le plus puissant langage. Chaque chose, par elles,
prend une expression précise et troublante. Au milieu de
l'atelier, sur un petit meuble où sont serrés les tubes, repose
la palette. Ici règne l'ordre, ici l'on devine les soins constants;
les tubes sont méthodiquement rangés dans les tiroirs, et la
palette, la large palette, dans la courbe qu'y tracent les grasses
coulées de pâte, est toujours nettoyée, lisse. Elle apparaît
comme le centre vers lequel tout, dans la vaste pièce, con-
verge. Dans la savante gradation des tons qui s'y touchent, on
dirait que revit, soudain ordonné, tout ce que l'on vient de
voir dans le désordre. Voici dans le blanc d'argent les nuages
éclatants du ciel sur le jardin ; ce jaune qui d'abord lumi-
neux, s'assombrit en se mêlant aux bruns voisins, c'est l'or
des fruits sur le bahut de chêne, près des feuilles mortes; ces
laques et ce vermillon évoquent les rouges du vieux mur; les
bleus innombrables, les gris, les verts d'émeraude, de cinabre,
chantent toute la fermentation de la terre. Chaque couleur a
sa place, mais elles se touchent et se confondent en de
chaudes pâmoisons ; et sur l'espace vide et brillant du frotte-
ment répété de l'essence, sur l'espace où chaque jour l'artiste
les mêle savamment, toutes ont laissé des traces ; toutes
22
conduisent doucement, insidieusement un peu de leur éclat
pour en magnifier la splendeur voisine. Les bleus, les laques,
les verts, les bruns et les jaunes subsistent, mais enrichis par
la magie des intimes et harmonieux mélanges, comme en des
souvenirs seulement ; l'un l'autre ils se sont pénétrés dans le
bois même où ils s'incrustent, sous la caresse satinée du
pinceau. Et vraiment, c'est toute la couleur du jardin, des
choses de l'atelier, c'est toute la beauté multiple, c'est toute
la splendeur diaprée du monde qui converge vers la palette,
s'y concentre, s'y résume en ces tons indéfinissables, souillés et
somptueux comme ceux du vieux lambeau de shall des Indes.
23
IV.
Croquis
L'atelier simple, l'ate-
lier rustique contient,
dans les toiles et les étu-
des qui couvrent les
murs, toute l'histoire de
l'artiste. Dans le vieil
atelier aujourd'hui aban-
donné, beaucoup moins
d'études étaient offertes
à la curiosité du visiteur.
Il avait été organisé à
l'heure où la personna-
lité se formait, aimait
encore les outrances qui
affirment violemment.
Et sans doute l'artiste
avait alors peu de considération pour tel simple morceau
exécuté au temps où, patiemment, il apprenait à peindre sans
rien exprimer de personnel.
Il a, comme tous ceux qu'animent de grandes ambitions,
connu l'heure de jeunesse où l'on nie tout ce qui se rattache
24
au labeur du passé, où l'on s'insurge contre tout ce qui n'est
pas soi-même, contre tout ce qui n'est pas aujourd'hui. De
cette heure-là, il demeure des traces curieuses sur les vitres
du toit de l'escalier menant au vieil atelier. Sur les étroits
carreaux, ce sont tantôt des croquis caricaturaux dessinés au
pinceau, tantôt des citations de Théophile Gautier, de Bau-
delaire, de Renan, concises et paradoxales telles qu'elles sont
présentées, isolées de leur contexte, tantôt des maximes, des
aphorismes exprimant avec véhémence des opinions tran-
chantes, audacieuses, en bravade. Le rapin batailleur s'ex-
clame : « Fourt ! Fourt ! Fourt ! (cri de guerre des anciens
Germains et des modernes Brabançons)». Mais de ce tumulte,
deux pensées calmes et claires surgissent :
« Un art sans caractère national est un art mort. »
Et :
« Trouver de l'art, en trouver si personne ne s'avise d'en
cueillir et d'en exprimer. »
Toute la genèse des œuvres de Laermans est dans ces
cris exaspérés, dans ces deux pensées, et dans l'influence du
calme et sage milieu de son origine.
Le fils des bourgeois paisibles de Molenbeek-Saint-Jean,
maintenu par son infirmité dans le milieu originel, devant
l'exemple quotidien du travail patient et consciencieusement
obstiné, a d'abord, comme il est de règle dans ce monde ad-
mirable, appris son métier, scrupuleusement. Il avait, très
jeune, décidé d'être peintre ; ses parents avaient consenti. Et
il a fait, avec méthode, avec ténacité, son apprentissage. Il
n'y avait point encore en lui de personnalité consciente. Il
avait quinze ans. Il apprenait à peindre simplement. Une seule
25
passion vivait en son adolescence : celle de la couleur dont la
magie lui était naturellement révélée. Une mélancolie déjà
tentait de se formuler quelquefois. Et en 1882, à dix-huit ans,
— il est né en 1864, le 22 octobre, — il essayait ce petit tableau
qu'il garde dans son atelier : dans une mansarde, au chevet
d'un mort qu'une lumière blême laisse à peine deviner, une
vague silhouette humaine s'écroule. Mais c'étaient là balbutie-
ments timides et fugitifs. Tout le temps était donné à la sage
étude du métier. L'artiste travaillait seulement à fixer la beauté
des choses. Voyez toutes ces études : la plupart d'entre celles
du début sont des paysages ou des natures mortes. Quelques
cosses de petits pois, quelques prunes, des pommes de terre,
une tête de veau, voire un hareng-saur ; et c'est chaque fois
une fête de couleur d'une étonnante fraîcheur d'évocation et
d'une chaude harmonie. Un bateau sur le canal, des arbres
dans la banlieue, des toits de chaumières ; et c'est chaque fois
une délicate analyse de la lumière sur les choses, de la lumière
grave, pensive, telle qu'on la voit le plus souvent chez nous.
C'est chaque fois aussi une puissante étude de la matière
contemplée avec avidité, avec une sorte de gourmandise et
cette ivresse de vigueur qui sont au fond de la race, qui s'ex-
primeront même dans l'évocation très sombre d'un escalier de
masure, pauvre, nu, à peine éclairé, et que ne doivent gravir,
semble-t-il, que des pas très las.
Déjà, quand il peint tout cela, Laermans cherche de l'art
partout, là où généralement on ne s'avise pas d'en cueiUir.
Et, sans le savoir peut-être, il obéit à un caractère national,
car les peintres flamands ont toujours trouvé, naturellement,
sans effort, de la beauté dans les plus humbles choses. iMais
25
La Prière du soir
c'est surtout son travail inlassablement objectif qui donnera
à son art, pour toujours, à travers les évolutions de sa pensée,
ce caractère national. Quand le jeune artiste peignait, avec
une fidélité presque pieuse, avec une candeur éblouie, des
natures mortes : — les prunes, les cosses de petits pois, ou ce
morceau de viande, — quand il luttait obstinément avec les
formes et les couleurs pour les égaler en relief et en éclat,
pour retrouver la sensation de leur consistance tendre ou de
leur fraîcheur, il travaillait à devenir le digne continuateur
des vieux peintres flamands, il donnait un effort identique au
leur, il cultivait le même rêve qu'eux, il brûlait de la même
volonté.
Le caractère essentiel de la peinture flamande c'est, en
effet, cette volonté d'étreinte complète. Pour elle, l'œuvre
d'art ne vit que par la matière, ne peut prétendre à la pensée
que par elle ; pour être capable d'une éloquence, elle doit
rappeler à notre mémoire, à notre sensibilité des aspects déjà
contemplés du monde matériel. Celui-ci doit être son objectif
constant. En lui sont les mots de son langage. Et ce langage
est assez riche pour lui permettre, non pas de formuler toutes
les réflexions, mais de les susciter toutes.
Là gît la différence essentielle entre la littérature et les
arts plastiques, entre leurs rôles respectifs. Ces rôles, on les
confond souvent. Et cette confusion est la cause des plus
graves erreurs, a engendré des efforts douloureux et vains,
tendus vers d'irréalisables aspirations.
Les idées ne se formulent qu'avec des mots. Celui qui
veut leur donner une traduction précise par des spectacles,
poursuit un but chimérique. Mais ces spectacles peuvent
27
exalter la pensée humaine, l'élever, l'ennoblir, épurer notre
sensibilité, transporter notre esprit dans une atmosphère
d'enhousiasme et d'harmonie où il puise des forces supérieures,
où il trouve un rythme de beauté, des volontés de grandeur,
de générosité ou d'énergie. Un paysage, un très simple paysage
peut orienter nos pensées vers toutes les splendeurs et tous les
mystères de la terre et du ciel ;
dans un nuage mouvant, nous
contemplerons l'infini; dans des
fleurs, nous trouverons la saveur
de vivre; dans les caresses de la
lumière sur les choses familières
d'un intérieur, surgiront des
souvenirs de joies ou de tristes-
ses intimes qui feront s'éveiller
un monde de pensées troublan-
tes; et le mouvement et le geste
d'une figure, humble ou héro-
ïque, suffiront à nous faire penser
à l'effort, à la volupté, à l'amour,
à la douleur, à la mort, pourvu
qu'une apparente, qu'une visible
beauté nous ait tout d'abord
frappés. Sans formuler une proposition précise qu'il n'est pas
en son pouvoir de nous offrir, l'œuvre d'art plastique nous
dirige vers les idées générales, synthétiques, en nous troublant
d'abord par la révélation de la beauté incluse en toutes choses.
Mais elle ne peut remplir ce beau rôle qu'en s'adressant
d'abord à nos regards. Ce sont nos yeux qui doivent d'abord
Croquis
28
la comprendre, ce sont nos yeux qu'elle doit émouvoir, c'est
par eux qu'elle doit atteindre notre raison, nos nerfs et notre
cœur. Elle doit les séduire, et on ne les séduit que par de la
beauté extérieure, claire, immédiatement visible; pour que
cette beauté ensuite nous émeuve, il faut qu'entre elle et nous,
entre elle et notre vie et le décor de celle-ci, nous découvrions
aisément un lien, une communion. Il faut que nous sentions
Dessin a la plume pour « les Émigrants »
les êtres et les choses que l'œuvre évoque faits de la même
pâte frémissante que nous-mêmes et que les choses qui nous
entourent, dont nous connaissons les frissons, les saveurs et
les amertumes. Il faut que nous nous retrouvions et que nous
reconnaissions la terre et ses fruits. Rien ne peut émouvoir
l'homme en quoi ne vit point pour lui un peu de souvenir ; il
ne peut concevoir rien qui lui soit étranger; nos rêves mêmes
29
n'imaginent rien complètement; ils font passer des visages
connus dans des décors déjà contemplés. Et si, dans l'œuvre
d'art, les éléments de vérité sont évoqués négligemment et
sans puissance, l'œuvre n'aura pas de grandeur : nous ne
pouvons concevoir que la beauté créée par l'art soit inférieure
à ce que nous voyons autour de nous, dans la réalité. Pour
dépasser la nature dans ses éloquences, il faut d'abord que
l'Art l'égale dans ses créations. S'il nous offre de la nature une
image amoindrie, indécise, inconsistante, sans relief et sans
force, la tristesse et la joie qu'il fera passer en ce monde
diminué seront diminuées d'autant.
Dès ses débuts, Laermans sent cela ; du moins c'est
pour l'art ainsi compris qu'il se cultive. Il n'a peut-être
point raisonné, analysé ; mais il subit, à son insu, les sug-
gestions de sa race volontaire, orgueilleuse d'accomplir,
d'exercer sur ses destinées une consciente action, de ce carac-
tère national dont il affirmera plus tard la nécessité, mais
que l'on subit plutôt qu'on ne le veut.
Il obéira ainsi de même au caractère de son temps.
Aucun temps peut-être n'eut d'aussi vastes ambitions que le
nôtre ; jamais l'homme, armé par la science, ne fut animé
d'un aussi noble désir d'investigation profonde et de labeur
intégral ; jamais il ne regarda la nature avec un espoir aussi
avide de déchiffrer tous ses mystères et de la maîtriser chaque
jour davantage, même s'il ne fait pas le rêve absurde d'en
être maître tout à fait.
Au milieu de cette humanité qui tenacement, passion-
nément, travaille à étreindre la vérité, à ne rien laisser
échapper à cette étreinte, on ne peut se contenter d'entrevoir,
3o
Eau forte
de n'admirer dans la nature que quelques tons fugitifs,
quelques reflets séduisants sur des formes confuses, qu'une
nuance de lumière sur la terre embrumée, qu'un ton d'étoffe
sur un corps deviné. A l'heure où nous voulons scruter tous
les mystères, établir toutes les relations, Tart doit nous montrer
plus que d'inconsistants mirages ; à l'heure où nous commen-
çons à comprendre quels liens puissants lient notre chair à
notre pensée, notre corps à nos rêves, il ne peut suffire à
l'artiste de voir en une femme seulement l'élégance d'un pli de
robe, l'ombre d'un regard, ou le ton rare d'une étoffe drapant
du vide. A l'heure des efforts crispés, des tâches jusqu'au bout
poursuivies, l'art doit donner davantage que l'exemple des
efforts ébauchés, des tâches à la première difficulté défaillantes,
car ce n'est pas dans cet exemple-là que les hommes peuvent
trouver la noblesse, le réconfort, l'espoir en plus de beauté, en
plus de bonté, en plus de perfection dont l'art doit leur don-
ner la vision comme en un geste indicateur, au lieu de leur
faire croire que la Terre n'existe que pour charmer d'une
séduction des êtres que leur rôle intimide.
C'est en éprouvant tout cela, peut-être obscurément, que
le jeune artiste est de sa race ; le métier qu'il acquiert
patiemment, lui permettra de se mesurer vigoureusement
avec les forces que la beauté pare, que la joie ou la mélancolie
animent ; et, en étant de son temps, son art sera cependant
la suite, la continuation de l'art flamand du passé.
3i
V.
Dans l'éducation de
. , Laermans, il est un facteur
p^^^^fâK^ encore dont l'influence fut
^ " profonde. Le jeune artiste
n'a guère connu que le sol
natal. Il a voyagé très peu.
Le voyage était pour lui
difficile. Jusque fort avant
dans sa carrière la nature
fut, à ses yeux, la campagne
brabançonne, exclusive-
ment. Il n'en connut pas
d'autre. En elle seule il
chercha, il retrouva toutes
les exaltations panthéistes puisées dans les livres. Je l'ai dit
déjà, il a beaucoup lu. Dans la maison de la chaussée de
Gand, une chambre du second étage est pleine de livres, rien
que de livres. Laermans a subi toute la ferveur des poètes et
des philosophes du dix-huitième et du dix-neuvième siècle
pour le mystère émerveillant du monde. Il a participé, par
ces livres, à la pensée universelle. Il sait que la nature est
Croquis
32
partout admirable. Il sait la variété infinie de sa splendeur.
Mais tout cela, pour lui, toujours se concrétise en les arbres,
les moissons, les vergers et les ciels du Brabant.
Pour son enfance, pour son adolescence, la campagne
brabançonne, ce fut le monde, avec toutes ses révélations,
avec tous ses éblouissements. Ce fut en elle, en elle seule
qu'il apprit à s'émouvoir, à s'extasier, à s'inquiéter, à se
réjouir, à rêver, à frémir de la sensation forte d'être le maître
enchaîné des choses. C'est sur la terre du Brabant qu'il a
senti, à de certaines heures, le trouble étrange et profond qui
nous attache au sol par d'invisibles racines conduisant en
nous les mêmes sèves dont vivent les brins d'herbe et les
chênes, qu'il a frissonné, dans l'ombre soudain faite par la
marche d'un nuage, du même frémissement de soumission
que les grands arbres, qu'il a, devant les moissons semées
par les hommes, cru parfois à l'orgueil humain.
Quand il avait quinze ans, le faubourg n'avançait point
son agglomération beaucoup plus loin que la maison pater-
nelle. Au delà, c'étaient les Etangs Noirs : des eaux tristes
environnées de maisons pauvres, mais dont les pignons blancs
et vieillots s'encadraient de verdure. Ces Etangs Noirs furent
évidemment le premier décor que Laermans, enfant, con-
templa. Ils n'existent plus aujourd'hui. Ils ont disparu depuis
vingt-cinq ans déjà. Et je crois que leur aspect, grandi dans
l'éloignement du souvenir qu'en a dû garder l'artiste, fournit
toute la part d'expression tragique de ses œuvres.
Les Etangs Noirs ! Ils portaient merveilleusement le nom
que leur avait donné la tradition populaire. Ce nom suggestif
e.st-il pour quelque chose dans la nuance du souvenir que
33
j'en ai gardé moi-même, dans l'impression que reçurent jadis
mes yeux et mon imagination d'enfant ? Je ne sais; mais je me
rappelle les avoir vus une fois, à la fin d'un jour d'hiver,
dans un crépuscule gris. Et quand je veux imaginer un décor
inquiétant, c'est toujours à ce souvenir que je retourne. Je
revois des eaux calmes, des eaux sans vie, léchant une
terre pauvre, des maisons basses dont les fenêtres sans
lumière sont comme des yeux peureux, et des êtres passant
silencieux et las et lourds, longeant ces eaux dans lesquelles
les silhouettes se reflètent en masses sombres. Je revois une
eau de drame, de suicide, une eau mauvaise, guetteuse,
autour de laquelle les maisons sont des refuges sombres,
les hommes se taisent comme pour se cacher, pour ne point
éveiller une attention malveillante, sournoise. Evidemment,
ma mémoire exagère, accentue ce que j'ai vu. Je suis con-
vaincu que le même phénomène se produit dans l'esprit de
Laermans, que l'impression jadis éprouvée, et qui n'était
que triste lorsque, pendant la démolition des masures autour
des Étangs, il peignit ce coin-là en une grande étude
fidèle, est devenue tragique plus tard, le décor ayant disparu,
et l'imagination cherchant à rendre une forme aux souvenirs
de l'enfance. C'est ainsi qu'est née VEau songeuse. C'est ainsi
que c'est formée cette conception du paysage de la banlieue,
que se sont formulées ces expressions troublantes, pleines de
menaces vagues, d'effrois silencieux, de drame latent, de
détresse muette, inexpliquée, parlant par l'hostilité des choses
autour de l'homme résigné, par cette hostilité qui persiste
même quand l'homme est absent, qui semble l'attendre en un
guet-apens.
34
Heureusement, l'enfance de l'artiste n'a pas vu que cela.
Cela c'était la transition, partout lamentable, entre la ville et
la campagne. Et celle-ci s'épanouissait, tout près, grandiose
et fraîche, autour des villages et des hameaux de Koekel-
berg, de Ganshoren, de Jette, de Berchem, d'Anderlecht, de
Dilbeek, en une contrée superbe de féconde et bienveillante
majesté.
Le pays natal est toujours celui que l'on peint le mieux.
Mais ce pays-ci est particulièrement propice à l'éducation du
peintre. Il offre de saisissantes synthèses du paysage en une
étonnante variété d'expressions, en une extraordinaire richesse
d'aspects renouvelés. On y peut admirer l'horizon infini de la
plaine, la formidable unité de la terre; et la monotonie des
vastes étendues est capricieusement rompue par des accidents
de terrain ménagés, dirait-on, par la nature coquette pour
cacher de temps à autre sa puissance et la découvrir brusque-
ment au détour d'un chemin, en une révélation soudaine et
pathétique. La plaine est mamelonnée, vallonnée en courbes
douces, en déclivités molles. Ce n'est pas la rudesse mena-
çante de la montagne, mais ce n'est pas la monotone unifor-
mité. Le velours lisse des pâturages est coupé par l'or ondulé
des moissons; la mer d'épis est sillonnée de lignes d'arbres
altières et sinueuses; sur la nappe verte et blonde que le
soleil illumine il y a les taches d'ombre des vergers, à côté de
l'éclat des toits rouges; si la terre abandonne lascivement
aux caresses de la lumière sa paisible fécondité, par endroits
elle leur dérobe, comme pour un repos à son perpétuel
travail, un coin de vallon mystérieux entre deux crêtes que
35
des peupliers, des ormes ou des bouleaux prolongent en un
mouvement d'élan vers le ciel.
Ce paysage est singulièrement émouvant parce que, sans
être le banal coin de terre en toutes ses parcelles cultivées,
partout il dit la présence de l'homme. Elle est rappelée par ce
canal dont le ruban moiré se déroule, inflexible, sous une
voûte d'arbres qui semblent marcher avec ses eaux, par ces
hameaux étalant leur toits rouges sur les
maisons basses, très basses des paysans qui
veulent demeurer près de la terre, par ces
cheminées d'usines, dans le lointain, par
quelque briqueterie, ou simplement par ces
vergers, ou même plus simplement encore
par ces étranges chemins, si capricieux, bor-
dés de noyers ou de saules, d'arbres courts
aux gestes tordus qui semblent vouloir se
dissimuler pour, discrètement, dans leur ligne
furtive, indiquer un but.
Il a, ce paysage, à la fois du grand style
et du pittoresque; il dit l'impassibilité de la
nature, et il dit aussi le tenace travail des
hommes. Le style est dans les vallonnements
Croquis
qui parfois mènent jusqu'au ciel un sentier,
dans les horizons découverts du haut des très accessibles
sommets d'où Ton peut croire embrasser la terre et perce-
voir, sensible, sa courbe infinie; il est dans les arbres
innombrables dont les lignes s'entre-croisent ou convergent
et, docilement, subissent les appels ou les assauts du vent en
un mouvement unique sous lequel toutes les choses com-
36
munient, soumises aux mêmes lois; il est surtout dans la
course perpétuelle des nuages, des grands nuages blancs ou
noirs, ou blêmes, qui promènent, très près du sol, des
béatitudes ou des menaces et qui semblent entraîner les
arbres vers un but éperdument poursuivi et jamais atteint.
Cela c'est la Terre tout entière, la Terre formidable, la Terre
sur la destinée de laquelle l'homme ne peut rien, la Terre qui
partout est la même, subit les mêmes frissons, les mêmes
joies et les mêmes angoisses, sous les mêmes efforts humains,
dans le même passionnant mystère. C'est le paysage pathé-
tique où se mêlent la majesté de la puissance indifférente, les
vastes espoirs, les rêves lointains, les grands enthousiasmes,
les découragements et les effrois.
Mais dans les recoins discrets de cette immensité est la
terre familière. Sur la route sans fin, au but fuyant, il y a les
relais où l'homme peut croire le repos atteint, où, depuis des
siècles, il goûte l'illusion de la conquête définitive dans le
labeur obstiné. Dans ces coins, il a fait la nature moins écra-
sante et plus serviable : c'est elle qui paraît soumise, complai-
sante. Les vieux murs crénelés de l'antique ferme de
Kaereveld, les masures du hameau de la » Queue de vache "
ou du Scheut, les vestiges d'un donjon dans cette humble
métairie, la dentelle de fer ouvragé d'un balcon, la porte et
les fenêtres à meneaux d'un cabaret, disent depuis combien de
temps, en ces endroits, l'homme travaille à maîtriser la terre;
ils évoquent les luttes livrées autour de sa possession, les
rudes batailles dont elle a tressailli, dont sa fécondité fut
troublée ; et la paix qui règne aujourd'hui accentue l'impres-
sion d'aboutissement, de but atteint, de sérénité.
37
Autour du hameau, c'est le champ et le verger, la lour-
deur blonde du froment et du seigle, les feuilles drues de la
betterave et du trèfle, le houblon conduisant ses feuilles et ses
fleurs jaunes en une lente ascension vers le ciel, la modeste
verdure charnue des vastes champs potagers, les pommiers
dont les fruits font ployer les branches fatiguées de leur régu-
lière fécondité. Des odeurs de lait et de pain se mêlent au
parfum trais du houblon. Des meuglements de bêtes passent
dans le vent. Et des maisons basses sortent des cris d'enfants.
L'homme et la terre sont unis étroitement. Celle-ci sert celui-
là. La charrue dont la large lame s'allume d'une clarté
coupante dans la pénombre de cette grange, semble résumer
la vie. Rien ne peut inquiéter ces hommes dont on entend
les voix placides devisant au cabaret devant le lourd breu-
vage fait des fruits qu'ils ont cultivés, et ces amoureux qui
s'en vont, enlacés, par le chemin sinueux, sous les saules,
dans la paix du soir indolent. Au détour de ce chemin, ils
découvriront brusquement la vaste plaine, l'horizon lointain,
l'infinie succession des vallons et des collines, le tumulte des
arbres, la formidable palpitation de la vie sous le ciel écra-
sant, sous les nuages en marche. Et, même s'ils sont très las
du labeur du jour, même si quelque souci les hante, ils regar-
deront au loin avec confiance, toute cette terre dont ils savent
la générosité, qu'ils aiment pour l'effort qu'ils lui donnent
et le pain qu'ils lui demandent. A leurs yeux, d'ailleurs, elle
n'est point si vaste, elle n'est point si mystérieuse. Tous les
sentiers conduisent à des toits rouges ou à des clochers qu'ils
connaissent. Partout il y a des champs et des métairies. Au
bout de tous les chemins mystérieux il y a des buts, des vil-
38
lages et des hameaux où régnent la paix laborieuse, la vie
normale, simple.
Sur ce fond de grandeur impassible, ces paysans silen-
cieux prendront soudain, eux aussi, une grandeur héroïque.
La lourdeur de leurs lignes, la disgrâce de leurs mouvements
incomplets quand ils ne se justifient pas par le travail, s'ac-
centueront dans le contraste du rythme pur du paysage, des
gestes épiques des arbres et des nuages ; mais le regard se
chargera de contemplation, un peu du grand frémissement
de tout passera dans la chair bistrée des femmes, et les tons
rudes et sombres des bardes salies participeront à la vaste
harmonie de ce pays où toutes les couleurs voisinent et se
pénètrent, de ce pays où tous les caractères se mêlent, où
alternent la joie et la gravité, où la richesse féconde vient
de l'effort douloureux, où la lumière et l'ombre sans cesse se
livrent combat, où il y a du triomphe et de la soumission,
du bonheur et de l'inquiétude, de la béatitude et du drame,
du soleil et de la pluie, et où, pour subir ces péripéties, tout
doit être vigoureux, fait de matière et de couleur résistantes,
solidement bâti.
Les premières études de Laermans évoquent ce pays
avec une fidélité méticuleuse. Ce paysage brabançon, il l'a
étudié avec ferveur, il l'a peint avec une piété éblouie. En lui
il a eu toutes les révélations. Et c'est en lui toujours qu'il
verra la nature. Il subira des crises, il sacrifiera à des entraî-
nements passagers, il sera préoccupé, à de certains moments,
exclusivement d'expression humaine, mais toujours il revien-
dra à la vision forte que lui donna la campagne braban-
çonne, à la matière résistante, à la couleur vigoureuse sur
39
laquelle le soleil et la pluie n'ont passé que pour l'embellir,
à la lumière discrète et mouvante où la joie et la gravité sont
toujours mêlées.
Cette unité de vision, cette définitive conception de la
nature en un aspect qui la résume, en fait un admirable
paysagiste. Il n'a point éparpillé ses émotions, ses efforts. Il
n'a point rendu sa sensibilité hésitante en s'appliquant à
l'adapter à des sujets trop multiples, à des expressions trop
radicalement opposées. Il a pénétré complètement le pays qu'il
peint, a pris le temps de ne pas jouir seulement de fugitives
impressions d'ensemble; il a tout contemplé et tout aimé en
ce pays. Il a appris à distinguer les beautés et la vie de toutes
Croquis
choses, des plus insignifiantes,
des plus humbles. Et quand il
peint quelques chaumières dans
la lumière indécise d'une fin de
jour, il y a dans le torchis des
murs branlants, dans le chaume,
dans les clartés furtives qui les
enveloppent, le reflet de splen-
deurs invisibles mais que l'on
sent proches, dans la matière
dont elles sont faites un peu de
la volupté qui coule partout
avec le sang, avec les sèves, avec
le parfum dont ils imprègnent
le vent.
4Q
p
VI.
Quand Laermans entra à l'Académie de Bruxelles, dans
cette classe de Portaels où les personnalités étaient si délica-
tement respectées, où le maître ne donnait un conseil qu'en
s'excusant, il savait regarder et il savait peindre. Il voyait
et il peignait en Flamand ; et son art était définitivement
empreint d'un caractère. Car le caractère profond, la part
de beauté éternelle, en les œuvres de Laermans, ne sont pas
dans ce qui, au premier abord, arrête et frappe. Si Laermans
est admirable, c'est moins par l'étrangeté des figures qu'il
peint, par leurs formes et leurs gestes, que par la matière
et la couleur dont ses figures sont faites et par tout ce qui les
entoure.
C'est dans ces figures que se manifesteront les hésitations,
les évolutions de la pensée de l'artiste sous les passagères in-
fluences de la littérature. Et, même ces influences, l'obsession
d'une expression pour laquelle il faut des mots plutôt que de
la beauté plastique, modifieront, à un certain moment et dans
certaines œuvres, jusqu'au métier laborieusement conquis.
Tandis que Laermans, de 1887 ^ 1889, peint dans la classe
de Portaels de belles études très équilibrées, très saines, —
on en peut voir encore dans son atelier, telle cette femme en
41
robe blanche, si discrètement voluptueuse — il dessine, il
dessine abondamment. Les croquis s'accumulent dans les
albums, qui demeurent, du reste, jalousement fermés, que nul
condisciple n'est admis à feuilleter. Et, phénomène singulier,
ces dessins sont d'un art tout à fait différent de celui de la pein-
ture du jeune homme. Il semble que dès qu'il ne se trouve
plus devant la nécessité de dompter la matière, surtout dès
qu'il n'a plus à évoquer la joie des couleurs, toute la sensibi-
lité physique qui fait le peintre, disparaît, s'efface devant la
personnalité intellectuelle à cette époque en pleine formation,
tiraillée entre des influences diverses, souvent dominée par
des lectures récentes, aussi sans doute par l'amertume, par la
colère que doit inspirer une infirmité à laquelle le temps n'a
pas encore apporté la résignation.
Devant la matière dont la puissance le trouble, devant la
couleur qui l'enthousiasme, Laermans n'a pas de sarcasmes.
Il en a devant les lignes, devant les gestes, devant tout ce qui
subit et exprime la volonté des hommes. Et ses dessins sont
quelquefois diaboliquement moqueurs ou imprécatoires ; ils
sont savants, mais leur science accentue ou déforme les
corps, donne aux attitudes des ridicules effrayants, une pathé-
tique, une torturante disgrâce.
C'est à ce moment, je suppose, que Laermans a lu
Baudelaire, l'admirable et malfaisant poète. Il ne connaît pas
les hommes, il n'a vu que ie sourire de leurs paroles et n'a
éprouvé devant la mimique de discours qu'il n'entendait point
qu'une gêne inquiète ; il n'a vu que les gestes impuissants de
volontés qu'il n'entendait pas formuler ; il n'a pu faire la
part des bonnes volontés mal armées, des doutes douloureux
42
et des tristesses nobles parfois entrevues par d'autres en une
heure d'épanchement et de confiance fraternelle; il n'a point
les joies puériles et fraîches, la consolation des paroles de
femmes, la réconfortante illusion des mots apaisants et ber-
ceurs. Il a subi violemment les Fleurs du mal et tous les
livres qui leur ont fait cortège. Et souvent, son dessin aura
les mêmes brusques, les mêmes véhéments caprices de sar-
caricature plaqués comme une moquerie sur les formes
amples, puissantes, dessinées d'un trait aigu et sûr. Mais dès
que la figure est vêtue, dès qu'elle vit dans le paysage, le sar-
casme et les déformations qu'il inspire s'atténuent. Ils sont
encore dans ÏEnfant malade : deux matrones montrant à une
sorte d'empirique un nouveau-né ; mais, déjà, l'aquafortiste a
casme que les beaux vers dés-
espérés et misanthropiques.
Cela se produira surtout
quand il ne peindra pas,
quand son attention se con-
centrera sur une simple figure
isolée, devant un nu surtout,
quand il se trouvera en pré-
sence de l'homme seul, rien
que de l'homme, rien que de
la silhouette humaine. Tel
vernis mou : une femme vue
de dos et vers laquelle un
entant tend les bras, est, à cet
Vernis-mou
égard, tout à fait caractéris-
tique, dans ses accents de
43
trouvé dans les hardes qui vêtent ces corps épais aux formes
indiquées avec tant de lourdeur simple, une beauté de cou-
leur, et l'amertume s'en est adoucie. Et dans V Enterrement ,
la planche admirable qui rappelle la toile magistrale exposée
au Salon de 1893, malgré l'éloquence tragique du sujet,
malgré la tristesse indicible du paysage, l'artiste, qui se re-
trouve devant la nature, ne songe plus au sarcasme : dans ses
figures merveilleusement grou-
pées en un mouvement de si
pesante, de si navrante soumis-
sion au destin, les formes sont
paisibles et normales.
Laermans est ainsi, au dé-
but de sa carrière, constamment
hésitant. Il compose les étranges,
les morbides dessins pour les
Fleurs du mal où la beauté hu-
maine souillée, meurtrie, dou-
loureuse, grimace et se contor-
sionne en des angoisses et des
ricanements, ces six dessins aux
nus modelés à la sanguine sur
des fonds noirs d'où la nature est absente et où surgissent
des tours de cathédrales, des guillotines et d autres accessoires
tragiquement symboliques. A la même époque, son imagi-
nation enfante ces bizarreries blasphématoires, exécutées
d'ailleurs avec science, et avec la même science il peint de
sages, de consciencieuses études dans lesquelles s'annonce
44
Croquis
confusément sa personnalité définitive, telle cette tête d'ou-
vrier, scrupuleusement réaliste, qui date de i8go.
Ses premières expositions refléteront l'incertitude de
l'orientation. C'est au Voorwaerts -- le cercle où débutent
avec lui Gilsoul, Gouweloos, Paul Rlieck, — qu'il expose
pour la première fois, en 1891, à vingt-sept ans. Il y a là
deux toiles : AiiVillage, un dessin : Satan, et un cadre d'eaux-
fortes. L'artiste se débat entre les inspirations littéraires et
celles de la simple nature. Cela durera plusieurs années. En
1892, à côté de toiles : — les Politiques du village, le Village
qui sommeille, Y Idylle campagnarde, il y aura des esquisses et
des dessins aux titres imprégnés de littérature : Hymne charnel,
Être poète..,, Fin de siècle; et il y aura une délicieuse, une
admirable étude peinte : Réflexions et Reflets, un portrait de
jeune fille au buste demi nu, merveille de matière lumineuse
et nacrée, de pureté pensive.
Dès cette exposition la personnalité se précise et l'histoire
de l'œuvre à venir s'indique. Deux tendances, deux courants
d'aspiration se combattent; l'artiste est tiraillé entre l'influence
des lectures et celle des souvenirs, sans cesse rafraîchis, de la
contemplation. La première agit souverainement quand il
dessine, et quelquefois l'obsède encore quand il peint. Cer-
taines de ses toiles, comme le Plain-Chant , sont nées d'une
intention de raillerie; et les figures y sont très peu peintes, la
matière est mince. 11 y a bien des recherches heureuses
d'harmonie de couleur, mais il n'y a point de volupté dans
les choses; et quand il n'est point entraîné par cette volupté,
l'artiste cède au besoin d'outrer l'expression en accentuant les
lignes jusqu'à la caricature. Lorsqu'il subit cette volupté.
45
comme devant les chairs lumineuses et fermes de la jeune
fille au portrait de laquelle il donne ce titre recueilli :
Réflexions et Reflets, les lignes s'épurent et les formes devien-
nent paisibles.
Et l'heure vient enfin où le peintre ne cherche plus ses
sujets, où la conception devient spontanée et très simple.
Même, le peintre en arrive, peut-être sans s'en douter, à
répéter constamment les mêmes thèmes. Combien de fois
a-t-il peint ou dessiné ou gravé dans le cuivre l'Enterrement
au village ? Combien de fois l'enfant dans les bras d'une matro-
ne? Combien de fois les chemineaux, les masures au bord
de l'eau ou les paysans revenant du travail avec le couple
jeune marchant vers l'amour? Les titres changent, ces titres
souvent si étranges, enfermant un peu de mystère — l'Eau
songeuse, l'Eau qui sommeille, la Tribu prophétique, le
Chemin du Repos — , et ils disent l'infinie variété des expres-
sions fournies par les mêmes choses et les mêmes faits, selon
les aspects de la lumière et de la couleur, selon le rythme
des gestes et des harmonies imprimées aux objets.
La pensée, dans l'œuvre de Laermans, n'est plus dans la
composition laborieuse et subtile : elle surgit d'une figure ou
d'un paysage, s'impose à l'esprit par l'imperceptible et générale
empreinte que l'émotion de l'artiste lui fait subir et que pa-
tiemment, savamment, il sait mesurer, en un travail recueilli
et sur lequel passe le temps.
L'œuvre demeure toujours au moins six mois sur le
chevalet. Les figures, ces figures que l'on dit parfois som-
maires, subissent d'incessantes modifications. Le tableau
achevé se couvrira de surcharges à la craie blanche, de lignes
46
essayant des mouvements, corrigeant le dessin ; dix fois, vingt
fois sera changée la combinaison des tons, la forme d'une
image, avant que se dégage enfin l'harmonie en laquelle sera
formulée avec force l'expression poursuivie, avant que la
pâte et les glacis aient donné à chaque chose sa nuance de
volupté, et que le tableau ait pris cette consistance satinée
sur laquelle le peintre aime promener une main caressante.
Je sais un tableau, le plus grand que Laermans ait jamais
entrepris, qui, terminé, n'a jamais été montré, attend depuis
quatre ans les m.odifications qui doivent le rendre définitif.
Par ce travail lent, par cette longue étude du langage de
chaque œuvre, des sujets analogues fournissent des œuvres
très différentes ; c'est ainsi que. sans recherche d'idées, sans
élaboration de composition aux symboles compliqués, par la
seule éloquence de la lumière, de la couleur et des lignes, la
pensée d'un peintre peut se renouveler à l'infini, comme peut
se renouveler notre émotion devant le même paysage, au
caprice de l'heure qui transfigure et conduit nos idées par
tous les chemins.
Les expositions maintenant se succéderont, aux Salons
triennaux, à la Libre Esthétique, au Cercle Pour L'Art, en
Allemagne où le peintre sera très vite fort apprécié ; et elles
marqueront l'évolution de la personnalité par la lente victoire
de l'une tendance sur l'autre. Le sarcasme d'abord s'effacera
pour faire place à un sentiment plus noble, fait de pitié et de
révolte. Et nous verrons le Soir de Grève, et puis les Emi-
grants, et des paysages écrasants et sournois, comme VEmi
songeuse. Mais dans ces œuvres aux intentions moins com-
pliquées, dominées toutes par une même impression de
47
fatalité irrésistible, de force occulte et redoutable, — la même
force qui pousse les foules au mouvement machinal, que la
composition savante et l'étude sagace du geste évoquent avec
tant d'intensité, et qui passe, furtive, insaisissable et mena-
çante dans VEau songeuse, — dans ces œuvres les réalités
plastiques, de plus en plus domineront, vêtiront les intentions.
Chaque fois qu'il y aura plus de somptuosité d'harmonie
dans la couleur acre, chaque fois l'exagération des formes et
des lignes s'atténuera.
de celle-ci, cette cruche de grès sera une chaude tache de
joie, ses gris et ses bleus seront peints en une matière forte,
en une matière grasse, en laquelle passe une palpitation. Ou
bien ce sera le fichu blanc d'une femme, formant avec un
noir et un rouge du vêtement une symphonie simple et res-
plendissante, avec des chatoiements veloutés ; ou ce sera cette
pierre sur la terre pauvre d'un guéret, ou ce panier d'osier
Croquis
Et dans les plus violentes, dans les
plus douloureuses, les plus menaçantes
des compositions de l'artiste, dans celles
qui semblent le plus âprement accuser la
nature et l'action des hommes, il y aura,
presque toujours, un morceau de joie vo-
luptueuse, un coin de saveur gourmande.
Il y aura cette cruche de grès qui, dans
un si grand nombre de tableaux, réap-
paraît, comme une signature ; quelle que
soit l'éloquence de la composition, quelle
que soit la facture de l'œuvre, si pathé-
tiquement triste que soit la signification
48
porté par une femme, ou ce mur blanc éclatant dont le crépi
empruntera une opulence de gemme au pâle rayon de soleil
qui le lèche. Toujours il y aura ce coin de matière peint
avec un recueillement ardent et méticuleux, avec une sou-
daine joie de vie physique.
A mesure que l'artiste avancera vers la maturité, cette
joie matérielle envahira davantage ses conceptions. Le métier
des études du début, le métier acquis patiemment dans les
premières révélations de la beauté des choses, régnera sur la
pensée et la transfigurera ; le peintre, le peintre heureux de
voir, le peintre exalté par la communion vaste du monde,
dominera l'intellectuel refléchi. Et dans les conceptions les
plus désolées, dans ce Mort qui dit la déchéance humaine,
les choses parleront quand même, dans leur matière, dans
leur couleur, avec une âpre volupté ; dans le Cimetière de
Campagne, le chef-d'œuvre exposé en 1906 au Cercle Pour
l'Art, la lumière blafarde fera s'éveiller dans le gazon des
tertres, dans la froide pierre tombale, d'étranges splendeurs en
lesquelles les yeux pourront puiser, malgré tout, l'impression
du bonheur de vivre.
On a dit souvent que Laermans ressemble à Breughel,
Il admire pieusement le vieux maître flamand. Mais vous
chercherez vainement dans son œuvre quelque idée qu'il lui
ait empruntée. Il lui ressemble, c'est évident, mais c'est par
cette somptuosité de la vision que nous venons d'analyser ;
il lui ressemble parce qu'il est de sa famille, de sa race, parce
qu'il peint les mêmes hommes, dans le même paysage, avec
la même sensibilité de Flamand, avec la même passion de
peintre, avec, surtout, la même faculté de faire palpiter la vie
49
dans la matière inerte, la même puissance de défense contre
le pessimisme devant les plus attristants spectacles.
Il lui ressemble par les facultés de peintre; mais sa pen-
sée s'écarte nettement de celle du vieux maître. Chez celui-ci
il y a de la satire, cette sorte de grosse joie sans façon qui
secoue les ventres plus que les nerfs et le cerveau, Breughel
prend le parti de rire des tristesses humaines. Breughel est
tumultueux, bruyant, ses toiles souvent chantent des chan-
sons bachiques et des chansons grivoises. Laermans est
silencieux ; même ses foules sont muettes, leur éloquence est
de volonté crispée ; si une clameur monte quelquefois sourde-
ment de ses compositions, c'est un rude chant de jacquerie,
La sensualité de ses couples est grave ; son Ivrogne est entouré
des victimes de son ivresse. Devant les tristesses humaines,
Laermans ne rit pas. Il se révolte souvent. Il pense avec
austérité toujours.
5o
VII.
L'art de Laermans est-il pessimiste ? A cette question
on répond oui, généralement. On répond cela quand on juge
une œuvre sur les sujets de ses tableaux. Evidemment, ces
sujets sont tristes, souvent même tragiques. Mais il faut distin-
guer entre la tristesse éprouvée devant certains spectacles, et
le pessimisme. On confond trop souvent. On peut être plein
de pitié et de révolte, on peut même avoir souvent des larmes
dans les yeux, et n'être pas du tout pessimiste.
Il est certain que chez Laermans, l'homme n'est pas
pessimiste. Nous verrons tout à Iheure si l'artiste l'est.
L'homme ne l'est pas. Il est merveilleux qu'un être atteint
tout jeune par un désastre — cette surdité qui l'isole — ne
soit pas devenu la proie du pessimisme, n'ait pas maudit la
vie. C'est merveilleux, mais ce n'est point du tout exceptionnel.
Les hommes qui se plaignent le plus de la vie, ne sont pas
ceux qui connurent le plus la souffrance. Les pessimistes sont
souvent des heureux qui s'ennuient, qui durent fournir très
peu d'eff'orts, eurent facilement à leur portée toutes les joies,
et, n'ayant rien dû conquérir, n'attachent de prix à rien.
L'histoire nous dit que la plupart des artistes pessimistes sont
parmi ceux qui durent très peu lutter, à qui la destinée fut
5i
généreuse ; même certains qui évoluèrent, connurent l'art le
plus confiant aux heures les plus pénibles de leur carrière.
La souffrance et la lutte laissent peu de temps aux stériles
désespérances ; elles donnent à la tristesse, aux inquiétudes et
aux regrets des objets précis, limités ; et ceux qui les connais-
sent ont mieux à faire que d'accuser la nature et de chercher
l'inaccessible. La lutte fait connaître la conquête, et qui a
éprouvé la joie que donne celle-ci n'est pas pessimiste. Le
pessimisme est de la tristesse sans sujet. Quand l'homme est
triste pour des faits tangibles, pour des causes définies, pour
des atteintes directes à son bonheur bu à celui des autres, il
conçoit le bonheur possible par la suppression ou l'atténuation
de ces causes : il a un but et par conséquent un espoir. L'in-
fortune rend combattif et le combattif peut être un révolté, un
exaspéré, pas un désespéré.
Le jeune homme qui est devenu sourd à onze ans, peut
se rebeller devant cette injustice de la nature ; mais, pour
devenir ce qu'il rêve d'être, il aura trop à lutter, il aura
trop souvent l'orgueil de la douloureuse victoire, pour ne pas
goûter à vivre des joies intenses. Ce n'est pas ce que donne
bénévolement la vie, c'est ce qu'on lui prend qui la fait
grisante. Et même, chez Laermans, on peut constater que c'est
après qu'est franchie la plus pénible étape, — celle où il a
fallu apprendre malgré l'obstacle de la mutilation, — c'est à
l'heure où l'effort un moment a pu s'arrêter, à l'heure du
premier succès, qu'un fléchissement se produit dans la con-
fiance ; à ce moment-là, alors qu'en plein labeur douloureux
il n'a regardé et peint qu'avec de la joie gourmande mêlée à
l'amertume, il sera passagèrement dominé par le mal que le
53
génie de Baudelaire a cruellement propagé, et il donnera ses
âcres compositions inspirées par les Fleurs dit mal.
Dans son admirable étude sur Rubens, Fromentin fait,
à propos de la Montée au Calvaire et du Martyre de saint Lie'vin,
une constatation curieuse. Après avoir décrit le premier de ces
tableaux, après avoir dit son sujet douloureux, l'auteur des
Maîtres d'autre/ois remarque : « Et malgré ce bois d'infamie,
ces femmes en larmes et en deuil, ce supplicié rampant sur
ses genoux, dont la bouche haletante, les tempes humides,
les yeux effarés font pitié, malgré l'épouvante, les cris, la mort
à deux pas, il est clair, pour qui sait voir, que cette pompe
équestre, ces bannières au vent, ce centurion en cuirasse qui
se renverse sur son cheval avec un beau geste et dans lequel
on reconnaît les traits de Rubens, tout cela fait oublier le sup-
plice et donne la plus manifeste idée d'un triomphe.
Après avoir exprimé l'horreur du sujet du Martyre de
saint Lie'vin, Fromentin constate encore : « Ne voyez que le
cheval blanc qui se cabre sur un ciel blanc, la chape d'or de
l'évêque, les chiens tachés de noir et de blanc, quatre ou cinq
noirs, deux toques rouges, les faces ardentes, au poil roux, el
tout autour, dans le vaste champ de la toile, le silencieux
concert des gris, des azurs, des argents clairs ou sombres —
et vous n'aurez plus que le sentiment d'une harmonie radieuse,
la plus admirable peut-être et la plus inattendue dont Rubens
se soit jamais servi pour exprimer, ou, si vous voulez, pour
faire excuser une scène d'horreur
Fromentin voit là « des contradictions qui se font équi-
libre et qui constituent un génie à part «.
Dans cette déduction ne se trompe-t-il pas?
53
Rubens est un génie supérieur; mais à considérer tout
Tart de sa race, ce n'est pas un génie à part. Il a simplement,
à un degré de merveilleuse puissance, la vision de sa race.
Cette vision s'est manifestée avant lui, et après lui elle sub-
sistera. N'importe quelle Pièta d'un primitif flamand montrera,
avec une splendeur moins dominatrice sans doute, mais mon-
trera tout de même la volonté d'exprimer la tristesse d'une
idée dans des formes et dans une couleur voluptueuses, de
dominer par la joie des choses la mélancolie de la pensée. Le
vieux Breughel enveloppe, dans la Parabole des aveugles, les
plus lamentables misères humaines de la joie intense des somp-
tueuses harmonies. Et ce dédoublement de la vision qui ne
laisse jamais se confondre l'impression de la pensée avec celle
des yeux et fait cette dernière toujours heureuse et ardente,
n'est pas particulier à Rubens, n'a pas disparu avec le pro-
digieux artiste. Il constitue toujours la qualité la plus carac-
téristique des peintres flamands d'aujourd'hui. C'est cette
qualité, faite de la contradiction constatée par Fromentin, qui
rend certains d'entre eux un peu déroutants et les impose
parfois à l'admiration de ceux-là même qui se rebellent devant
telles de leurs expressions.
Il y a, au fond de la race, un optimisme, une joie de
vivre quand même qui maîtrisent toute autre tendance. Quel
que soit le spectacle qu'ils contemplent, quels que soient les
événements, que ceux-ci inspirent de l'héroïsme, de la terreur,
de la sérénité, de la joie ou de la pitié, la plupart des peintres
flamands trouveront toujours dans ces spectacles une beauté
de couleur ou de forme ; et ils ne la sacrifieront point à l'im-
pression à traduire : tout leur effort tendra à accorder cette
54
impression à cette beauté matérielle, même si la première est
triste. C'est ainsi que leur art n'est jamais pessimiste: des joies
consolantes entourent toujours les douleurs, souvent même
celles-ci se confondent avec celles-là et sont par elles dominées.
Le vrai réalisme, d'ailleurs, n'est-il pas là? Rien n'est,
autour de nous, entièrement laid, tout à fait désespérant; sur
les plus tristes choses la lumière suffit à jeter de l'espoir. Ce
qui est désolant n'est généralement que l'œuvre passagère des
hommes; et la nature dans laquelle ceux-ci vivent leurs
inquiétudes et leurs erreurs, promet toujours des réparations;
autour des plus tristes yeux il y a de la chair qui rappelle la
pérennité de la vie et toutes les compensations qu'elle peut
apporter.
Laermans peint les paysans avec une pitié que l'on
pourrait dire impitoyable si les deux mots ne semblaient pas
mutuellement se détruire. Dans la fidélité de son réalisme, il
y a une âpreté qui accentue les misères physiques jusqu'à la
déformation. On lui a reproché, on lui reproche encore d'être
souvent caricatural. Et il est évident qu'en certaines de ses
premières œuvres, il accentua jusqu'à l'invraisemblable les
lignes et les formes lourdes, la disgrâce physique des paysans
qu'il peignait.
Ces paysans ne sont pas ceux de Millet ; ce ne sont pas les
figures frustes, mais équilibrées et paisibles de VAngeliis ou
des Glaneuses. Les paysans de Millet sont enveloppés d'une
sérénité; ce sont ceux de la pleine campagne, résignés dans
la nature, n'ayant jamais soupçonné qu'elle, soumis à ses
caresses apaisantes. Ceux de Laermans, ce sont les rustres
mâtinés de la campagne proche de la ville, et les artisans de
55
la banlieue ; ce sont des prolétaires qui savent la lourdeur
ingrate de leur sort, qui ploient sous la tâche, que la révolte
guette parce que la misère les étreint sur le sol que les empié-
tements de la cité insensiblement stérilisent. Ce sont des émi-
grants en foule inquiète ; ce sont des parias allant on ne sait
où, vers le pain problématique, traînant des enfants que
l'anémie et la scrofule ont marqués de leurs tares; ce sont
des chemineaux loqueteux, à qui le village, le village défiant
et égoïste, est inhospitalier; ce sont des infirmes, des aveugles.
Millet est pénétré par Jacques Callot.
Une tristesse exaspérée, une révolte s'expriment en ces
toiles. Elles ont une éloquence imprécatoire, anathématique,
admirablement conduite, mesurée. Car elle est voulue. C'est
délibérément que l'artiste accentue jusqu'à la violence la
disgrâce injuste infligée à ses modèles par le labeur, par le
travail écrasant et sans compensations. Car il sait, il sait
merveilleusement la forme serrée, la matière tendre et l'ex-
pression paisible. Ses premières études, et le profil de jeune
fille que nous avons cité, et le nu harmonieux du Bain, et
celui de telle eau-forte où un trait aigu alourdit volontaire-
ment la forme ample savamment flétrie d'un corps de femme
qui garde le rythme d'un souvenir de beauté, tout cela
l'atteste. Le profil de jeune fille est un chef-d'œuvre de pureté
lumineuse et nacrée, de simplicité voluptueuse. L'artiste sait.
Et ce n'est pas par impuissance, par maladresse à faire noble
et pur, ce n'est pas non plus pour atteindre facilement au
caractère qu'il montre avec rudesse des difformités. Il est
certain qu'une pitié révoltée l'agite devant les êtres aux-
quels son art s'est attaché, et qu'il présente leur disgrâce aux
56
autres hommes comme une protestation, atteignant non point
ses modèles, mais la société dont ils sont les membres débiles.
II a tout pénétré de la tristesse des vies qu'il contemple
depuis qu'il sait regarder : celle du décor de banlieue, celle
des demeures lamentables, des masures, et celle des êtres qui
les hantent. Et il a réfléchi puisqu'il possède une culture
littéraire sérieuse. Il est donc incontestable qu'il n'est pas
guidé par le seul instinct, qu'il choisit très consciemment ses
sujets, qu'il démêle parlaitemcnt leur signification amère, leur
éloquence de clameur douloureuse et menaçante. Il y a dans
son art une part évidente de subjectivité.
Or, il reste tout de même voluptueusement objectif. Cet
art inspiré de tristesse emprunte toute sa puissance à de la
resplendissante beauté, fait surgir des plus lamentables spec-
tacles une joie physique intense ; tandis que l'esprit est en
deuil, les yeux sont en fête, et leur consolante exaltation, sur
la douleur crée de l'espoir.
Un vrai peintre peut être triste par la pensée : il sera tou-
jours heureux par les yeux. Lorsque Laermans voit passer,
dans les rues de son faubourg, quelque loqueteux pitoyable à
la difforme silhouette, s'il voit, en cette victime, se formuler
des problèmes sociaux, il ne s'isole point dans les pensées que
cette évocation provoque : il ne cesse pas de regarder, de
contempler cette figure qui passe, et de la voir dans le cadre
qui l'entoure. Et soudain ses yeux s'extasient, et il s'écrie, en
montrant les haillons :
— Oh ! ce rouge et ce noir !
Ou bien, son regard allant plus loin, vers l'horizon,
vers la campagne proche, s'apaisera sous la contemplation
57
du ciel décoré par des silhouettes d'arbres, ou s'arrêtera,
ébloui, sur un mur blanc lépreux incendié de soleil, sur un
rayon de lumière pénétrant l'obscurité d'un couloir, sur les
marches usées de l'escalier sale d'une demeure lugubrement
pauvre. F^t il verra d'inépuisables subtilités de couleur.
Autour de toutes les tristesses, même en elles, Laermans
voit les beautés que la nature dispense II y en a partout. Et
c'est pour cela qu'un peintre peut être grave, ou mélancolique,
ou révolté, mais ne peut pas être pessimiste : il évoque non
pas ce que l'on pense, mais ce que l'on voit ; et dans ce que
l'on voit il y a toujours une part de joie, quelque chose toujours
rappelle que la tristesse ne peut pas être éternelle, qu'elle est
non point une loi de la nature, mais presque toujours une
erreur humaine.
Devant un tableau de Laermans, on peut éprouver une
subite angoisse, le frôlement furtif d'une menace, d'un danger;
on peut aussi .se sentir emporté par une révolte ; mais on ne
sera pas désespéré. Des beautés apaisantes, humbles mais
splendides, amortissent, adoucissent, circonscrivent l'amer-
tume, donnent à la douleur sa véritable attribution. Cela est
plus évident à mesure que l'artiste mûrit, qu'il se débarrasse
de la fougue outrancière des débutants échappant de parti-pris,
en les rejetant comme des conventions et des entraves, aux
influences de la race. Ces influences, nous avons vu comment
elles enveloppèrent la jeunesse de l'artiste, comment elles ne
l'abandonnèrent jamais complètement. Dans la maturité elles
s'accordent, définitivement, à la personnalité conquise.
Nous avons vu que, dans les premières œuvres portant la
marque de cette personnalité, même dans les plus violemment
58
imprécatoires comme la Grève, dans les plus anxieuses comme
Y Eau songeuse, comme la Nuée inquiétante, dans les plus dra-
matiques comme ÏEnterrement au village, et les Emigrants,
même en ces toiles où passent, dans le mouvement des foules
ruées ou des foules inconscientes, des cris de violence et de
détresse, même dans les paysages où la nature est écrasante
elle aussi, semble complice des cruautés humaines, il y a tout
de même une joie amère : les harmonies de couleur qui, en
plein drame, font goûter des saveurs fortes et raffinées ; le
rayon de soleil qui glisse et lèche les pierres du rude chemin ;
la ligne d'un arbre dans un poudroiement lointain de lumière
rappelant qu'il ne fait pas tragique toujours et partout ; les
formes et le mouvement d'une femme perdue dans la foule :
bonheur possible; l'émail de la matière onctueuse dont sont
faites les choses les plus sombres et qui donne le désir d'une
caresse.
Ainsi se retrouve dans l'art de Laermans la contradiction
apparente découverte par Fromentin, et qui n'est pas une
contradiction, mais au contraire un phénomène de parfait
équilibre.
Cet équilibre se fait, du reste, pins complet et plus
paisible à mesure que se développe l'artiste et que s'épanouit
son talent. Après le pessimisme passager, il a exprimé dans
des foules animées d'un mouvement puissant, la révolte, — et
dans la révolte il y a de l'espoir éperdu; il a ensuite graduel-
lement calmé l'outrance de disgrâce infligée à ses modèles.
Ses derniers tableaux ; l'Aveugle et le Paralytique, où la tête du
premier des deux personnages a tant de fruste noblesse, les
Foins, peints récemment en Campine et où telle figure de
59
gamin offre une grandeur si paisible, sont, à cet égard, signi-
ficatifs; enfin le fond de paysage de la plupart de ses toiles,
depuis Y Aveugle surtout, est devenu gravement radieux. Il
faut anal3'ser toujours le paysage chez Laermans qui est un
grand paysagiste synthétique. Au premier plan il est générale-
ment pauvre, triste, peu secourable, exprime la détresse de
ceux qui vivent près de lui. Ces peupliers, maigres et courbés
dans un mouvement de fuite, que l'on retrouve dans la plupart
des compositions, sont animés de la même inquiétude que
les hommes, tourmentés de la même oppression. Mais plus
loin apparaît la simple nature féconde, comme un but comme
une consolation, comme une terre promise, comme l'éter-
nelle possibilité du bonheur offert aux hommes. Dans le
Bain, il semble que cette terre promise soit atteinte : le nu
lourdement voluptueux d'une femme du peuple frissonne
doucement dans une nature humble mais sereine; et, de la
matière veloutée, de la prodigieuse couleur, montent une
ivresse, un trouble sensuel, rude et sain, une joie physique
que l'on retrouve partout, même dans le Mort, même dans le
Cimetière, une joie latente qui s'obstine dans toutes les évoca-
tions de la vie la plus écrasante, et qui s'épanouit, promet-
teuse et attirante, dans les lointains vers lesquels marchent
les travailleurs très las et les chemineaux farouches.
Cette joie dans le drame intense, cette joie persistante
des choses, cette volupté des yeux, font de Laermans, coloriste
somptueux, l'un des plus flamands des peintres d'aujourd'hui,
l'un de ceux qui expriment le mieux leur race pensive, sou-
vent révoltée, mais tenacement confiante en l'éblouissante
nature, marchant toujours, à travers les douleurs, vers un
60
but. Ce but, un chemineau, dans un des derniers tableaux
de Laermans, le montre, dans un geste indicateur vers l'hori-
zon où se devinent des béatitudes. L'art qui fait ce geste-là
n'est point un art désespéré. S'il montre la douleur, il enseigne
l'espérance et conseille l'action.
6i
CATALOGUE DE L'ŒUVRE D'EUGÈNE LAERMANS
Une collection d'eaux-fortes au Cabinet des Estampes, à Bruxelles.
1889 — Série de dessins pour les l-leurs du mal.
Portrait d'enfant (à M™' Brockmann).
Les Femmes du village.
Pan, esquisse décorative.
Même composition à l'eau-forte.
Les Politiques de village.
L'Enfant. Dessin en couleurs (à M. Des Cressonnières).
1890 — Étude de jeune fille.
Portrait d'un bonhomme.
Tête d'ouvrier.
Études de nu.
189 1 — Harmonies du silence (à M. Loevensohn).
Les Foins.
Matin d'été.
Germinal, paysage.
Ceux de mon village.
1892 — Le Soir (i M. Ch. Brunard).
La Prière au village (à M. Deru, Verviers).
Sur l'herbe (à M. Edm. Picard).
La Nuée, esquisse (à M. Emile Verhaeren).
Dans le sentier (à M. J, Vanderlinden).
Les Autorités du village (à M""' Brockmann).
Exode de villageois (à M™' Brockmann).
1893 — L'Enterrement au village (à M. Sam Wiener).
La Flânerie au village (à M. Romdenne).
La Nuée, dessin en couleur (à M. Eug. Demolder).
Fin de jour (à M. de Burlet).
63
1894 — Les Inconsolés (à M. De Greef).
Une Foule (à M. Van Mons).
L'Enfant (à M. Romdenne).
Un Soir de grève.
Un Coup de tonnerre.
Les Emigrants, grande esquisse.
La dernière Récolte (à M. E. Otlet).
Profil de jeune fille (à M. Sam Wiener).
L'Eau qui sommeille (à M. Otlet).
L'Ivrogne, esquisse (à M. Bueso).
1895 — Les Deuillants.
Les Petits et les Humbles.
L'Homme à la cruche (à M. Mulpar, Mons).
Le Printemps,
L'Été,
L'Automne,
L'Hiver,
1896 — Les Réprouvés (à M, Charles Brunard).
Le Repos (à M. Gerhardt Hauptmann, Berlin).
Kermesse.
Vieil Escalier.
La Tribu prophétique.
Les Bicoques.
La Prière du soir (au Musée de Dresde).
1897 — Les Mendiants, esquisse.
Les Derniers Croyants.
La Promenade vespérale.
Le Sillon (à M. Wolfram, Dresde).
Ma Mère, portrait.
Les Emigrants, triptyque (au Musée d'Anvers).
1898 — Mon portrait.
L'Aveugle (à M. Sarrens).
L'Ivrogne.
Le Chemin du Repos (au Musée de Bruxelles).
Le Matin (à M. Bourotte).
Cour de ferme (à M""* W. Picard).
grandes esquisses.
L'Eau songeuse (au Musée de Mons).
1899 — La Nuée inquiétante.
Soir d'été (à M. Alexandre Braun).
Une Panique, épisode de guerre (à M. A. Boitte).
Le Sentier (à M. Edm. Picard).
Fin d'automne (au Musée du Luxembourg, Paris).
Le Chemineau (à M. Max Hallet).
Mélancolie (à M. R. Hottat).
L'Ornière (Collection X..., à Dresde).
Le Semeur.
Paysan, dessin en couleur (à M. Octave Maus).
1900 — Un Paria (à M. Van den Nest).
Les Mendiants (à M. R. Hottat).
Soleil d'octobre (à M. Huisman-Van den Nest).
1901 — Le Bain (à M. Kleyer, Bruxelles).
Au Village (Collection Z..., à Berlin).
1902 — Le Vaincu (à M. De Blieck, à Alost).
Soir paisible (à M. M, Vauthier).
L'Aumône, dessin en couleur.
Les Paysans, esquisse.
1903 — L'Enterrement (au musée d'Ixelles).
L'Accident.
L'Aube (à M. R. Hottat).
Les Paysans.
1904 — L'Église, esquisse (à M. Philippe Wolfers).
Terre promise.
Le Mort.
Étude de jeune fille.
1903 — Les Intrus (au musée de Liège).
1904 — Le Retour des champs (à M. le Comte de Minerbi, Venise).
Un Ciel mouvant.
Le Village recueilli (à M. le D"^ Rouffart).
Le Bord de l'eau.
1905 — Le Cimetière de campagne (à M. Stoclet).
Dans les foins (à M. R. Hottat).
Crépuscule.
65
La Lutte.
Le Nouveau-né, dessin en couleur (à M. Tassel).
L'Aveugle, » » (à M. R. Hottat).
L'Hiver (à M. Ernest Solvay).
L'Oasis.
1906 — L'Aveugle et le Paralytique (à M. R. Hottat).
Les Meules en Campine.
Un Solitaire.
Un Vieux.
L'Église de village (à M. Speltinckx, à Gand).
Les Époux (à M. Wattremez).
Un Crépuscule (à M. le D' Gallemaerts).
1907 — La Famille, polyptyque.
Vieux Débris.
Les Défricheurs.
66
BIBLIOGRAPHIE
Edmond Picard. — L'Art moderne.
Octave Maus. — Idem,
Emile Verhaeren. — Idem.
Georges Eekhoud. — Les Entretiens Politiques et Littéraires, Paris,
(25 octobre 1893.)
Jules Dujardin. — L'Art flamand. Tome VI.
Camille Lemonnier. — L'École belge de peinture.
Gustave Vanzype. — Nos Peintres. Tome I.
Id, — VArt et les Artistes. Paris (janvier 1906).
Sander Pierron. — Études d'art.
E. JoLY. — La revue Durendal. Bruxelles.
Marius-Ary Leblond. — La Revue. Paris.
E. Muther (traduction Jean De Mot). — La Peinture belge.
Robert Breuer. — Die Neue tVelt. Berlin. (N° i, 1906.)
Id, — Geschrift fur bildende Kunst. Leipzig. (Mars 1905.)
Camille Mauclair. — La Revue Bleue. Paris.
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TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE
Eugène Laermans, d'après un portrait peint par lui-même. En frontispice.
Dessin pour les Fleurs du Mal . . . .
âge
2
»
6
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10
H
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22
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44
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46
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48
))
50
»
a
52
))
54
»
56
58
»
60
Anvers.
— Imprimerie J.-E. Buschmann, Rempart de la Porte du Rhin
Collection des Artistes Belges
Contemporains
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FERNAND KHNOPFF
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Il a été tiré de cet ouvrage 5o exemplaires de luxe, sur
papier Impérial du Japon, texte réimposé, numérotés de 1 à
5o. Ces exemplaires contiennent une eau-forte originale de
chacun des quatre artistes traités dans l'ouvrage.
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ÉMILE CLAUS
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CAMILLE LEMONNIER
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reproduite en couleurs, et 17 reproductions dans le texte.
Prix : 10 francs.
Il sera tiré de cet ouvrage 5o exemplaires de luxe, sur
papier Impérial du Japon, texte réimposé, numérotés de
1 à 5o. — Prix des exemplaires de luxe : 40 francs.
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